mardi 20 janvier 2009

Michel Servet


Chère Saba,

J'achève un petit opuscule sur Michel Servet, publié à L'Harmattan par Pierre Domeyne et sous-titré "au risque de se perdre".

Michel Servet (1511-1553) est un espagnol qui a rapidement gagné la France, où il a découvert la théologie. Il s'est fait connaître dans les milieux intellectuels lyonnais pour des positions très hostiles à la trinité, tout en vivant et en exerçant la médecine, à Vienne, sous un faux nom. Il fut d'abord arrêté par l'inquisition catholique qui l'aurait d'ailleurs exécuté s'il ne s'était évadé. Il s'est alors rendu à Genève où, cette fois, ce sont les protestants calvinistes qui se sont saisis de lui et après un procès de plusieurs semaines, il fut brulé.

Dans ma famille protestante, l'exécution de Michel Servet passe pour l'illustration du fanastisme calviniste. A vrai dire, après lecture de ce livre, la situation apparaît légèrement plus contrastée. Michel Servet s'opposait vivement au dogme de la trinité, qui faisait pourtant à peu près l'unanimité chez les Chrétiens, protestants et catholiques (qui fait toujours, d'ailleurs). En gros, la question est de savoir si Dieu, Jésus et le Saint-Esprit, sont un ou trois, de la même nature, de la même substance ou pas. Tout ça a donné lieu à des débats très savants et assez difficile à comprendre aujourd'hui.

Servet, d'après Pierre Domeyne, a volontairement choisi d'aller à la confrontation théologique avec Calvin. Quand il a fuit Vienne, il aurait pu se rendre en Italie, ou dans certains cantons suisses, ou encore en Allemagne, sans passer par Genêve. En allant à Genêve, il escomptait sans doute pouvoir engager un débat théologique avec Calvin. C'est, en quelque sorte ce qui s'est passé : arrêté, Servet a subi un procès en hérésie. Le procès dérivant, car les compétences théologiques des accusateurs et des juges n'étaient pas de taille face à Servet, Calvin lui-même s'est occupé de l'accusation. Malgré tout, la lutte était inégale, non pour des raisons théologiques, mais simplement parce que Calvin avait à l'époque une très grande influence sur Genêve. Les idées de Servet heurtait directement non seulement les dogmes admis à l'époque (sur la trinité) mais aussi l'ordre public (il était favorable au fait de réserver le baptême aux adultes, ce qui impliquait que les adolescents pouvaient tout se permettre puisque tous leurs pêchés seraient absous avec leur baptême).

Il faut dire aussi que Michel Servet avait largement provoqué Calvin, dans une correspondance à la limite de l'insulte. Servet était sans doute sympathique par certains côtés (c'était un médecin qui soignait les pauvres), il a toujours fait appel à la tolérance religieuse en refusant qu'on emprisonne quelqu'un pour ses idées (position largement compréhensible de la part de quelqu'un qui se trouve effectivement en prison pour ça), mais il avait un côté assez content de lui qui a du agacer pas mal Calvin.

Dès l'exécution, cependant, Calvin a été attaqué et a du se justifier de ce qui apparaît, aujourd'hui, comme un forfait. Les Genêvois ont élevé au début du XXe siècle un monument de repentance à Michel Servet, devenu, à son corps défendant, une sorte d'icône de la tolérance religieuse.

Alors, pourquoi "au risque de se perdre" ? Tout le monde s'est perdu, dans cette affaire. Servet, d'abord, qui a perdu sa vie pour ses idées. En venant à Genève, il est tombé dans un traquenard (cela d'autant plus qu'il semble que les calvinistes aient contribué à le dénoncer aux autorités catholiques de Vienne). Il a assumé ses idées, jusqu'au bout, alors qu'il lui aurait suffit de se rétracter pour ne point être brulé. Servet du reste revendique cette mort, qui va le rapprocher du Christ - sans doute, mais est-il besoin d'être si pressé ?

La Réforme, ensuite, que l'on aurait voulu tolérante et ouverte et qui le fut d'avantage, aux siècles suivants. Mais Calvin, qui est largement entré en conflit avec les bourgeois de Genève sur les questions de discipline religieuse, n'était pas prêt à sortir des cadres conceptuels de son époque. Servet ne fut pas le seul dissident exécuté. D'autres furent bannis. Il n'est pas aisé de construire son Eglise et d'être tolérant...

lundi 19 janvier 2009

Qui suis-je ?

Koz, dans un grand moment de sollicitude pour autrui, m'invite avec d'autres bloggers autrement plus renommés et distingués, à faire part de mes idées politiques, selon une chaine lancée par Romain Blachier. Faisons ça sous forme de dialogue socratique ?

Socrate : Dis moi, Sôter, où te situe dans l'aréopage de nos idées politiques ?

Sôter : c'est une question complexe, Socrate. Quand j'entends des hommes de droite, je suis souvent en désaccord avec eux.

Socrate : tu es donc à gauche.

Sôter : je le crois. Mais, malheureusement, lorsque j'entends des hommes de gauche, je suis souvent en désaccord. Ca vaut aussi pour les femmes d'ailleurs.

Socrate : aheum. (Oui, Socrate n'a pas toujours la répartie facile). Bon, tu es où alors ?

Sôter : plutôt au centre-gauche, on dira. En tous cas, c'est par là que je vote.

Socrate : ça n'existe pas, le vote de centre-gauche. Tu vote donc pour le PS, mon ami ?

Sôter : usuellement.

Socrate : donne moi trois raisons pour cela, Sôter !

Sôter : mmm... La première, c'est que j'adhère d'avantage aux valeurs de la gauche qu'à celle de la droite. Je ne suis pas nationaliste, je ne suis pas patriote, je suis plutôt anti-militariste, plutôt athée. Bref, un positionnement qui ne rejoint pas la droite. Je suis favorable à une égalité des droits et des chances, voire à une "égalité réelle", ou presque, je me sens proche des combats émancipateurs. Je dirais donc que ma première raison de voter à gauche, c'est une préférence idéologique.

Socrate : bon, rien d'original, là.

Sôter : indiscutablement. La seconde raison de mon vote socialiste, c'est que je suis pour la réforme tranquille et contre la révolution. J'aime les évolutions pensées et réfléchies sur du moyen terme, à 10-20 ans.

Socrate : et tu trouves ça chez les socialistes ? t'es fort !

Sôter : pas vraiment, malheureusement. Mais je le trouve encore moins ailleurs et certainement pas dans les autres partis de gauche. Mais la dernière fois que j'ai voté ailleurs qu'au PS, j'ai du voter Chirac au deuxième tour, ça marque, vois tu Socrate.

Socrate : ouais, je me souviens moi aussi. Il vaut pas Périclès.

Sôter : je le concède. Une troisième raison ? C'est parce que j'ai pas vraiment d'autres choix. A vrai dire, je me reconnais de moins en moins dans le PS mais aucun parti n'exprime réellement une ligne de réformisme social qui assume le long terme. La politique a déserté le long terme, de toutes façons...

Socrate : quel dépressif celui-là... Bon, une raison qui te ferait aller ailleurs ?

Sôter : l'Europe. Pour l'Europe, je mets de côté mes accents rationalistes et je vote pour le seul parti qui soit vraiment favorable à l'Europe en France, c'est-à-dire les Verts. Quand le PS voudra réellement créer un parti social-démocrate européen, on aura fait un grand pas.

Socrate : reconstituer la ligue de Délos, en d'autres termes ?

Sôter : en moins centralisé.

Socrate : cinq bloggers à qui transmettre cette chaîne ?

Sôter : Qui crois donc que cinq personnes au moins me lisent ? Bon, évidemment, Saba, si on fait un blog à deux, c'est pas pour que je me coltine tout le travail. J'ajouterai : Romain, Bryaxis et Benji (internationalisons le débat) et enfin Café Croissant.

samedi 10 janvier 2009

Gaza : la guerre médiatique

Il n'y a pas grand chose à rajouter aux très nombreux commentaires qu'on peut lire dans la presse ou sur les blogs concernant la guerre qui se déroule actuellement à Gaza, sinon le sentiment de l'inéluctable et de l'injustice de ces morts "pour rien" (mais je fais partie de ceux qui croient qu'on meurt toujours "pour rien").

Quitte à écrire un billet sur ce sujet, j'ai envie de partir d'un réflexion de François Bayrou, entendue sur France Inter il y a quelques jours : le conflit israélo-palestinien est un conflit qui ne peut avoir de vainqueur.

Malheureusement, je crois que ce n'est pas vrai. Israël ne peut pas gagner la guerre, c'est indéniable. Tout au plus peut-il obtenir un accord de paix avec ses adversaires. Mais cet accord ne lui apportera jamais la certitude absolue de la sécurité qu'il recherche. Mais le Hamas lui, peut avoir l'espérance de gagner la guerre. Son objectif est la destruction d'Israël. Bien évidemment, ce n'est pas un objectif à court terme, qu'il pourrait réaliser avec quelques roquettes. C'est un objectif à long terme qui met en jeu non seulement les Palestiniens, mais aussi le Hezbollah, la Syrie et l'Iran : à long terme, ces pays peuvent espérer faire disparaître l'Etat d'Israël.

C'est tout le problème de ce conflit. Du côté Israélien, on se place dans l'immédiat, dans la sécurité de tous les instants. On est prêt à entraîner la mort de plus de 700 personnes pour assurer la sécurité d'Ashkelon et de Sderot. Mais on ne se résout pas à faire confiance à l'avenir et à la négociation, qui impliquent forcément des risques - sans doute n'a-t-on pas réellement renoncé aux rêves d'un grand Israël.

Côté Hamas, de l'autre, on se place sur du long terme. Les pertes subies par la population Palestinienne nous paraissent très lourdes. Si on veut bien accepter l'idée de quantifier les morts, il faut bien reconnaître que jusqu'à présent, ils sont très peu nombreux (si on compare à des conflits très meurtriers comme la première ou la seconde guerre mondiale par exemple). Le Hamas peut parfaitement se permettre de "sacrifier" ainsi quelques uns des habitants de la bande de Gaza pour faire avancer sa cause - cela d'autant plus que ces morts radicalisent la population palestinienne et rendent sa cause populaire dans le monde arabe et même occidental.

En d'autres termes, on a d'un côté des Israëliens incapables de faire confiance aux Arabes et des Palestiniens - disons certains Palestiniens - qui de toutes façons poursuivent l'objectif de détruire Israël et sont prêt à prendre du temps pour ça. Le comportement militariste des Israéliens ne peut que conforter les adversaires d'Israël dans leurs résolutions.

Le problème c'est qu'Israël est réellement en train de perdre la guerre. La campagne du Liban en 2006 a été le signe que la stratégie de guérilla était payante. L'intervention militaire à Gaza dure maintenant depuis 15 jours sans objectif réellement défini ni accessible. Et le soutien international envers Israël ne va cesser de se dégrader : comment justifier ces morts Palestiniens ? Ces nouvelles destructions ?

Je suis donc profondément pessimiste sur cette question.