jeudi 25 septembre 2008

le vent l'emportera.

Sôter,

J'entendais ce matin à la radio, en partant au travail, que les Américains faisaient plus confiance aux démocrates qu'aux républicains pour résoudre la crise financière actuelle, et la crise économique qui s'annonce. Que dans ces conditions, Obama regagnait du terrain par rapport à son concurrent Mac Cain.
Cela ne me surprend pas : et je trouve assez logique que face à un problème donné, l'opinion choisisse la famille politique qui lui semble la plus efficace en la matière.

Mais je n'ai pu m'empêcher de penser à un évènement, tout autre : l'attentat de Madrid le 11 mars 2004. Et les élections qui ont suivi, donnant la victoire au candidat de l'opposition socialiste, à la grande surprise de tous.

Je suis toujours surprise, et parfois effrayée, de voir à quel point l'opinion est changeante ; cela me semble être à chaque fois la grande faiblesse de nos démocraties.
Comment un évènement isolé peut influencer un peuple.
Si demain un attentat terroriste venait meurtrir les Etats-Unis une nouvelle fois, qu'adviendrait-il ? Le grand retour de Mac Cain ? (en fait, peut-être qu'en dépit de la tendance sécuritaire des Républicains, ceux-ci perdraient, du fait de leur échec actuel...)

La volatilité d'une opinion me semble un phénomène naturel, tellement compréhensible, tellement dépendant des affects de chacun. Celle de l'Opinion m'effraie parfois. Insaisissable, et pourtant tellement manipulable.

A très vite,

Saba.


mardi 23 septembre 2008

Les mariés de Lille

Cher Sôter,


Puisque le débat autour du jugement de Lille (les mariés non mariés remariés qui seront peut- être, dans quelques temps, de nouveau libres...) revient sur le tapis... Je ne peux m'empêcher de te faire part de mes réflexions.

J'ai beaucoup changé d'avis sur cette décision, sur sa signification, son impact, sur le point de savoir si le juge aux affaires familiales aurait pu prendre une autre décision.

Retour en arrière :

Dans un premier temps, outrée des réactions ulcérées des personnalités connues et des journalistes, et toute à une approche libérale de la question, je me suis dit que la nullité était bien justifiée :
  1. le consentement d'une partie - du futur époux - a été déterminé par sa certitude que celle qu'il souhaitait épouser avait toutes les qualités, et notamment, ce qui était important pour lui, la virginité ;
  2. or il est avéré qu'il s'est trompé, ou qu'il a été trompé, selon que l'on veut mettre l'accent sur le fait ou ses causes, sur l'erreur ou sur le dol
  3. cette erreur, ou ce dol, vicie le consentement de l'époux et justifie l'annulation du mariage.

Puis en discutant, en lisant, en me disant que tant de réactions déchaînées révélaient nécessairement un réel problème, ma certitude a vacillé. Reprenons donc mot à mot la loi d'abord, le jugement censé l'appliquer ensuite.

Ce fameux article 180 du code civil sur lequel est fondé la décision d'annulation du mariage, et le droit commun des contrats d'ailleurs, exigent, pour s'engager de façon valable, un consentement libre de chacun. Ce consentement libre suppose qu'il soit éclairé, c'est-à-dire exige qu'il n'y ait pas d'erreur dans la personne ou sur des qualités essentielles de la personne à épouser. Sans cela, sans appréciation de la situation (de la personne) conforme à la réalité, l'engagement est "nul". Il s'agit là d'une nullité relative (Cass. 1re civ., 4 juill. 1995), qui ne peut donc être invoquée que par l'époux "victime" et par le ministère public.
Mais tout en reconnaissant la possibilité d'une erreur, l'article 180 du code civil exige que celle-ci soit quand même significative : qu'elle porte sur les qualités essentielles de la personne, qu'elle ait été déterminante.

Mais ce caractère déterminant doit-il être apprécié objectivement ou subjectivement ? En clair, qui doit dire si la qualité est déterminante ou non ?

Dès lors que la nullité envisagée ne peut être que relative, on peut penser qu'elle s'apprécie en fonction de ce que les parties avaient "convenu" dans le cadre du "contrat de mariage". Quoi de plus logique, de plus respectueux de la liberté de chacun ?

Mais d'un autre côté, le mariage étant une institution (effets dont les parties ne peuvent disposer), avec sa composante politique au sens noble, sociale, il peut sembler normal que la loi, et la justice au nom du peuple français, mettent leur nez dans les obligations incombant aux parties, et apprécient ce qui paraît exigible, ou normal.

Hésitant toujours entre ces deux visions des choses, j'ai donc repris un extrait d'un bon vieux manuel de droit, édition 1996, bien antérieur à l'affolement actuel : "l'erreur n'est pas appréciée in abstracto, par référence à ce qui serait dans l'opinion commune une erreur déterminante, mais in concreto, par référence à la situation personnelle de celui qui se prétend victime de l'erreur. Il n'en demeure pas moins qu'en pratique, les juges sont conduits à reconnaître plus aisément l'erreur invoquée si elle est de nature à être communément répandue, notamment si la qualité qui fait défaut était déterminante au regard de l'opinion commune et des usages" (Terré, Simler, Lequette, Droit civil, les obligations, 6e édition).

Ahh, la pratique ! L'opinion... les usages... Le droit ne peut, et ne doit, être imperméable aux évolutions sociales.

Il faut ainsi savoir que la doctrine, la jurisprudence ont largement évolué au cours des XIXème et XXème siècle, sur cette question de l'erreur. Et du fait de l'influence des partisans d'une conception extensive de l'erreur (théorie subjective), partisans d'un devoir d'adaptation des tribunaux à leur époque, ces derniers ont eu le champ libre pour apprécier le caractère déterminant ou non des qualités attendues, pour dire : "s'il avait su, il n'aurait pas dit oui".

Néanmoins, la pratique judiciaire n'a pas conduit à beaucoup d'annulations de mariages. Je cite le Doyen : Les nullités de mariage sont mortes. Les magistratures du XIXe siècle les ont tuées en interprétant avec une incroyable étroitesse les causes légales de nullité et particulièrement l'erreur dans la personne, faute historique qui n'a pas peu contribué à rendre la loi Naquet inévitable... Erreur sur la personne, tous cas d'injures anté-nuptiales qui fournissent un contingent considérable au divorce moderne : erreur dans la personne, au fond toutes les causes de divorce en ce sens que l'époux demandeur a découvert dans la faute conjugale de l'autre que celui-ci n'était pas moralement tel qu'il l'avait cru, ne fut-ce que parce qu'il l'avait cru incapable de changer... (J. Carbonnier, Terre et ciel dans le droit du mariage, op. cit., p. 333).

Pourquoi tant de réticences ?

Parce que prendre en considération tout et n'importe quoi peut s'avérer dangereux. Si la qualité attendue est strictement subjective, personnelle, elle peut conduire à n'importe quoi, et notamment à une fragilité de l'union que le droit ne souhaite pas. Encore une fois, le Doyen : "Personne n'accepterait d'annuler un mariage pour erreur sur la situation sociale du mari, sur la fécondité de la femme. Ce sont pourtant bien souvent des conditions déterminantes”.

En outre, et l'on s'en est rendu compte à l'occasion de "l'affaire du mariage annulé" de Lille, certaines notions paraissent tellement dépassées qu'elles en deviennent accessoires, et ne peuvent sans choquer conduire à une annulation.

Il s'agirait donc de définir la fameuse "qualité déterminante" tant d'un point de vue personnel que social, subjectif que sociologique. Pensant ainsi, on retrouve une certaine logique dans la faculté de recours offerte au ministère public, garant de l'ordre public, de l'ordre social.

Tout cela serait très beau dans l'absolu.


Dans le cas qui nous intéresse, c'est un tout petit peu différent sans doute (sans parler du fait que tout le monde était d'accord sur l'annulation !).

Même en s'en tenant à une conception strictement personnelle des qualités déterminantes en jeu, il semblerait que l'homme aurait épousé la femme s'il avait su qu'elle n'était pas vierge ; ce n'est donc que le mensonge qui l'a rebuté et l'a incité à agir en justice. Alors... à moins d'établir qu'une honnêteté sans faille était une qualité déterminante aux yeux du mari, je ne pense pas qu'il y ait lieu à annulation. Le divorce semblerait plus approprié.

Si au contraire, l'on reprend une conception large de l'appréciation des qualités déterminantes, comprenant une dimension sociologique, il est sans doute permis de considérer que la virginité n'est plus une valeur essentielle en France, et de conduire à refuser l'annulation d'un mariage pour un motif qui n'est pas valable aux yeux du plus grand nombre. Néanmoins, dans cette logique, on pourrait se demander si la confiance que chaque membre du couple peut avoir envers l'autre, ou l'honnêteté qu'il est en droit d'attendre de la part de celle qui va partager sa vie, n'est pas quant à elle une qualité déterminante...

Bref, ce n'est pas tant la question de la virginité qui me semble importante, mais celle de la confiance trompée. Et au-delà, la question de ce que les gens mettent derrière le mot "mariage", aujourd'hui, en France.

Je trouve regrettable, voire même dramatique, que ce débat, sans doute nécessaire, ait été provoqué par une annulation qui convenait à tout le monde, qui simplifiait le règlement d'un conflit sans doute très douloureux et humiliant. En fait, je suis assez sidérée par la tournure que prennent les choses actuellement. Le spectacle du droit poursuivant de son acharnement deux personnes qui auraient aimé ne plus entendre parler l'une de l'autre, peut-être. Cela vire au glauque et me chagrine, d'autant plus que l'on assiste à un débat juridique qui tourne dans le vide, se recroqueville sur des inepties (confusion entre les causes de nullité du mariage et ce qui pourrait fonder un divorce, tel l'absence de vie commune), pour prétendument se rapprocher de ce que peuvent entendre les gens : virginité ? quelle virginité ?

Partages-tu mon analyse ?

Saba.

dimanche 14 septembre 2008

Laïcité positive ?

Chère Saba,

Un point sans doute où nos convictions respectives sont très éloignées : la religion. Sa place dans le débat public, ces quelques jours, à l'occasion de la venue de Benoit XVI en France, me parait sans doute surestimée. Quelques remarques en vrac :

* on a parfois l'impression, à entendre les promoteurs de la laïcité positive, que les religions, en France, seraient interdites d'expression. Il me semble pourtant que les cultes sont libres, qu'on entend régulièrement sur les ondes des responsables religieux, ou même de simples croyants. A ma connaissance, tant les catholiques que les protestants ont des radios, au moins à Paris. De nombreux livres sont publiés par des croyants chaque année. Bref, on ne peut pas dire que les Catholiques sont opprimés.

* Ces dernières années, on a vu se développer les interventions des différentes religions dans l'espace public, par exemple récemment sur l'immigration ou sur les tests ADN. Ces interventions présentaient le vif intérêt, en général, de ne pas être lié à tel ou tel parti - même si les deux exemples que je cite étaient des critiques de gouvernements de droite, on ne peut pas dire que les églises roulent pour le PS. Le lien culturel entre l'Eglise catholique et la droite n'est pas pour autant totalement rompu, mais le temps où l'Eglise s'immisçait dans les élections et la vie politique semble révolu. C'est là une différence notable par rapport à ce qui prévalait en 1904. Les Eglises prennent des positions sur quelques points, et cela ne semble pas choquer.

* En revanche, les exemples de l'islamisme ou des sectes montrent bien ce qui effraie les Français : qu'une religion intervienne tellement dans la vie d'une personne qu'elle en perd tout libre arbitre. Lorsque la religion dicte la façon dont les gens doivent s'habiller, s'aimer, vivre ensemble, il y a alors des risques sérieux pour les libertés. Lorsqu'on observe le message de l'église catholique aujourd'hui, on voit bien qu'on en est loin. Il est intéressante de noter que les prescriptions morales portées par l'Eglise sont sans doute le point qui suscite le moins d'adhésion chez ses fidèles...

* Débattre. J'entends que les religions voudraient intervenir d'avantage dans le débat public, auraient des choses à dire. Encore faut-il que les religions acceptent de se plier à ce qui est la règle du débat dans une démocratie : s'appuyer sur des arguments qui sont susceptibles de convaincre tout le monde. Lorsque une Eglise critique l'avortement au nom d'une valeur, la vie, elle est audible par tout un chacun. Lorsqu'elle indique que la vie appartient à Dieu, l'argument n'est plus audible par ceux qui ne croient pas en Dieu. Il n'est pas certain que les Religions acceptent durablement de se plier à cet exercice.

A te lire,

Sôter

lundi 1 septembre 2008

La réaction en jupe reste toujours la réaction

Chère Saba,

As tu lu que le candidat républicain à la présidence des Etats-Unis, John MacCain, a finalement fait le choix de Sarah Palin pour être son vice-présidente. Sarah Palin - mon ami Paxatagore ne résisterait sans doute pas à un jeu de mot douteux à base de soap Palin - était jusqu'à présent l'obscure gouverneure de l'Alaska (un Etat acheté par les Etats-Unis à la Russie en 1867, de mémoire). Elle a certainement d'importantes qualités politiques, puisqu'elle a une popularité de 80% en Alaska et qu'elle a construit sa carrière sur la lutte contre la corruption.

Sarah Palin n'en demeure pas moins un symbole de tout ce que l'Amérique peut avoir de plus réactionnaire. Elle est membre à vie de la NRA, l'association qui défend le droit - constitutionnel aux Etats-Unis - de porter des armes à feu et ne se prive pas de les utiliser. Elle est également farouchement opposé à l'avortement et l'a prouvé en décidant de garder son cinquième enfant, alors qu'il était trisomique (au moins, voilà quelqu'un qui assume ses convictions). Et elle combat une tentative du gouvernement fédéral pour protéger les ours polaires parce que ça gênerait l'exploitation du pétrole sous la banquise. Bref, Sarah Palin, c'est l'anti-Hillary. Un bon coup médiatique, dont il est loin d'être certain qu'il suffise à récupérer le vote féminin.

Le plus drôle dans l'histoire, c'est que l'ouragan Gustav - avec un nom pareil, on dirait un meuble ikea - est en train manifestement de donner aux Républicains une bonne occasion pour récupérer la couverture médiatique de Barack Obama avait tiré à lui. La nomination de Sarah Palin n'était donc pas si nécessaire que ça. Mais après tout, c'est un choix équilibré avec la candidature de McCain : elle est jeune, il est âgé ; il a l'expérience de la politique nationale et de Washington, son expérience est limitée à l'Alaska et elle est récente ; Sarah Palin est une femme du nord des Etats-Unis, Mc Cain un homme du sud - il est sénateur de l'Arizona.

Moi je parierai pas une grosse somme sur Obama... et toi ?

Edit du 3/9 : à lire chez Le Silence des Lois.