Puisque le débat autour du jugement de Lille (les mariés non mariés remariés qui seront peut- être, dans quelques temps, de nouveau libres...) revient sur le tapis... Je ne peux m'empêcher de te faire part de mes réflexions.
J'ai beaucoup changé d'avis sur cette décision, sur sa signification, son impact, sur le point de savoir si le juge aux affaires familiales aurait pu prendre une autre décision.
Retour en arrière :
Dans un premier temps, outrée des réactions ulcérées des personnalités connues et des journalistes, et toute à une approche libérale de la question, je me suis dit que la nullité était bien justifiée :
- le consentement d'une partie - du futur époux - a été déterminé par sa certitude que celle qu'il souhaitait épouser avait toutes les qualités, et notamment, ce qui était important pour lui, la virginité ;
- or il est avéré qu'il s'est trompé, ou qu'il a été trompé, selon que l'on veut mettre l'accent sur le fait ou ses causes, sur l'erreur ou sur le dol
- cette erreur, ou ce dol, vicie le consentement de l'époux et justifie l'annulation du mariage.
Puis en discutant, en lisant, en me disant que tant de réactions déchaînées révélaient nécessairement un réel problème, ma certitude a vacillé. Reprenons donc mot à mot la loi d'abord, le jugement censé l'appliquer ensuite.
Ce fameux article 180 du code civil sur lequel est fondé la décision d'annulation du mariage, et le droit commun des contrats d'ailleurs, exigent, pour s'engager de façon valable, un consentement libre de chacun. Ce consentement libre suppose qu'il soit éclairé, c'est-à-dire exige qu'il n'y ait pas d'erreur dans la personne ou sur des qualités essentielles de la personne à épouser. Sans cela, sans appréciation de la situation (de la personne) conforme à la réalité, l'engagement est "nul". Il s'agit là d'une nullité relative (Cass. 1re civ., 4 juill. 1995), qui ne peut donc être invoquée que par l'époux "victime" et par le ministère public.
Mais tout en reconnaissant la possibilité d'une erreur, l'article 180 du code civil exige que celle-ci soit quand même significative : qu'elle porte sur les qualités essentielles de la personne, qu'elle ait été déterminante.
Mais ce caractère déterminant doit-il être apprécié objectivement ou subjectivement ? En clair, qui doit dire si la qualité est déterminante ou non ?
Dès lors que la nullité envisagée ne peut être que relative, on peut penser qu'elle s'apprécie en fonction de ce que les parties avaient "convenu" dans le cadre du "contrat de mariage". Quoi de plus logique, de plus respectueux de la liberté de chacun ?
Mais d'un autre côté, le mariage étant une institution (effets dont les parties ne peuvent disposer), avec sa composante politique au sens noble, sociale, il peut sembler normal que la loi, et la justice au nom du peuple français, mettent leur nez dans les obligations incombant aux parties, et apprécient ce qui paraît exigible, ou normal.
Hésitant toujours entre ces deux visions des choses, j'ai donc repris un extrait d'un bon vieux manuel de droit, édition 1996, bien antérieur à l'affolement actuel : "l'erreur n'est pas appréciée in abstracto, par référence à ce qui serait dans l'opinion commune une erreur déterminante, mais in concreto, par référence à la situation personnelle de celui qui se prétend victime de l'erreur. Il n'en demeure pas moins qu'en pratique, les juges sont conduits à reconnaître plus aisément l'erreur invoquée si elle est de nature à être communément répandue, notamment si la qualité qui fait défaut était déterminante au regard de l'opinion commune et des usages" (Terré, Simler, Lequette, Droit civil, les obligations, 6e édition).
Ahh, la pratique ! L'opinion... les usages... Le droit ne peut, et ne doit, être imperméable aux évolutions sociales.
Il faut ainsi savoir que la doctrine, la jurisprudence ont largement évolué au cours des XIXème et XXème siècle, sur cette question de l'erreur. Et du fait de l'influence des partisans d'une conception extensive de l'erreur (théorie subjective), partisans d'un devoir d'adaptation des tribunaux à leur époque, ces derniers ont eu le champ libre pour apprécier le caractère déterminant ou non des qualités attendues, pour dire : "s'il avait su, il n'aurait pas dit oui".
Néanmoins, la pratique judiciaire n'a pas conduit à beaucoup d'annulations de mariages. Je cite le Doyen : Les nullités de mariage sont mortes. Les magistratures du XIXe siècle les ont tuées en interprétant avec une incroyable étroitesse les causes légales de nullité et particulièrement l'erreur dans la personne, faute historique qui n'a pas peu contribué à rendre la loi Naquet inévitable... Erreur sur la personne, tous cas d'injures anté-nuptiales qui fournissent un contingent considérable au divorce moderne : erreur dans la personne, au fond toutes les causes de divorce en ce sens que l'époux demandeur a découvert dans la faute conjugale de l'autre que celui-ci n'était pas moralement tel qu'il l'avait cru, ne fut-ce que parce qu'il l'avait cru incapable de changer... (J. Carbonnier, Terre et ciel dans le droit du mariage, op. cit., p. 333).
Pourquoi tant de réticences ?
Parce que prendre en considération tout et n'importe quoi peut s'avérer dangereux. Si la qualité attendue est strictement subjective, personnelle, elle peut conduire à n'importe quoi, et notamment à une fragilité de l'union que le droit ne souhaite pas. Encore une fois, le Doyen : "Personne n'accepterait d'annuler un mariage pour erreur sur la situation sociale du mari, sur la fécondité de la femme. Ce sont pourtant bien souvent des conditions déterminantes”.
En outre, et l'on s'en est rendu compte à l'occasion de "l'affaire du mariage annulé" de Lille, certaines notions paraissent tellement dépassées qu'elles en deviennent accessoires, et ne peuvent sans choquer conduire à une annulation.
Il s'agirait donc de définir la fameuse "qualité déterminante" tant d'un point de vue personnel que social, subjectif que sociologique. Pensant ainsi, on retrouve une certaine logique dans la faculté de recours offerte au ministère public, garant de l'ordre public, de l'ordre social.
Même en s'en tenant à une conception strictement personnelle des qualités déterminantes en jeu, il semblerait que l'homme aurait épousé la femme s'il avait su qu'elle n'était pas vierge ; ce n'est donc que le mensonge qui l'a rebuté et l'a incité à agir en justice. Alors... à moins d'établir qu'une honnêteté sans faille était une qualité déterminante aux yeux du mari, je ne pense pas qu'il y ait lieu à annulation. Le divorce semblerait plus approprié.
Je trouve regrettable, voire même dramatique, que ce débat, sans doute nécessaire, ait été provoqué par une annulation qui convenait à tout le monde, qui simplifiait le règlement d'un conflit sans doute très douloureux et humiliant. En fait, je suis assez sidérée par la tournure que prennent les choses actuellement. Le spectacle du droit poursuivant de son acharnement deux personnes qui auraient aimé ne plus entendre parler l'une de l'autre, peut-être. Cela vire au glauque et me chagrine, d'autant plus que l'on assiste à un débat juridique qui tourne dans le vide, se recroqueville sur des inepties (confusion entre les causes de nullité du mariage et ce qui pourrait fonder un divorce, tel l'absence de vie commune), pour prétendument se rapprocher de ce que peuvent entendre les gens : virginité ? quelle virginité ?
Partages-tu mon analyse ?
Saba.
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